jeudi 8 mai 2014

L’INSURRECTION DE 1871 : Benjamin Stora : “C’est une épopée héroïque”


“L’année 1871 reste une date très significative dans l’histoire des deux pays, la France et l’Algérie. Alors qu’à l’Hexagone, on s’acheminait vers l’instauration de la troisième République en excluant la classe ouvrière dite laborieuse, en Algérie, on décrétait le statut fictif de ‘l’Algérie française’ au détriment du droit à la citoyenneté pour ceux qui étaient appelés les indigènes”, a souligné, hier, le célèbre historien français, Benjamin Stora, natif de Constantine et spécialiste de l’histoire du Maghreb contemporain.
Il y intervient au deuxième jour du Colloque international, dédié à l’insurrection de 1871, en Kabylie, qui s’est tenu hier et avant-hier, au théâtre régional Abdelmalek-Bouguermouh de Béjaïa. Développant une approche comparative entre les événements de 1871 à Paris, la Commune et l’insurrection d’El-Mokrani et Cheikh Aheddad, le conférencier a mis en exergue “cette incroyable simultanéité des dates de démarrage des deux révoltes, du fait qu’à la veille de l’éclatement des émeutes du 18 mars 1871 à Paris, plus précisément les 16 et 17 mars de la même année, Cheikh Aheddad, l’une des notabilités de Seddouk, avait lâché quelque 250 000 hommes au combat. Et pourtant, ce sont des histoires séparées. En fait, le comparatisme historique induit la séparation des deux événements”. Lors de sa communication intitulée “L’année 1871, de la commune de Paris au soulèvement en Kabylie”, M. Stora, qui s’est interrogé sur le croisement entre les deux insurrections de 1871, est revenu sur les liens qui peuvent exister entre ces deux révoltes. Il expliquera que “l’état de faiblesse et de fragilité de l’armée française, qui se traduisait par l’affaiblissement de son rôle politique et militaire, constitue, à mon sens, l’un des liens à relever. Il y a aussi la crainte de l’autorité militaire de perdre le pouvoir au profit d’une autorité civile. Comme ce fut le cas des notables et chefs religieux en Kabylie qui appréhendaient la perte de contrôle de la société”.
L’orateur, qui qualifiera le soulèvement de 1871, d’“une épopée héroïque”, rappellera, ensuite, que “face à la révolte populaire, la riposte de l’armée française ne s’est pas fait attendre, puisque les autorités militaires avaient mobilisé pas moins de 100 000 hommes pour étouffer l’insurrection de 1871. Viendra après la séquestration des terres et les déportations”. Pour l’historien français, le processus migratoire des Kabyles est dû, d’ailleurs, à la dépossession foncière. Intervenant dans la matinée d’hier, Slimane Zeghidour, rédacteur en chef et éditorialiste à TV5 Monde, a animé une conférence ayant pour thème “L’insurrection de 1871, la morale de l’histoire”. Selon lui, “la morale de l’histoire, c’est la dépossession territoriale massive et la dépossession mentale qui font que les Algériens ne décident plus de rien sur leur terre. Les Algériens sont restés des spectateurs passifs face à la transformation de leur pays”. M. Zeghidour a affirmé, en outre, que “quelque 2,4 millions d’Algériens, soit 40% de la population de l’époque, furent dépaysés ou retirés de leurs villages pour les mettre dans des camps de regroupement de l’armée française”.
L’orateur a estimé que “cette tragédie nationale s’inscrit aussi dans la continuité de cette problématique qui se pose à nos jours. Le déracinement continue jusqu'à aujourd’hui. La séquestration des terres est une question qui n’est pas encore réglée”. Il déplore, par ailleurs, qu’au lendemain de l’Indépendance, la politique des dirigeants algériens s’est inscrite dans la même logique. “La révolution agraire, à titre d’exemple, a participé à l’abandon des villages. Dommage que nos terres demeurent en friche. Personne ne s’y intéresse. On ne cherche même pas à connaître leur nature juridique, en vérifiant les pièces du cadastre. Une notion qui n’est pas entrée dans nos mœurs.” Pour sa part, Rachid Oulebsir, journaliste et écrivain, spécialisé dans la recherche sur le patrimoine culturel immatériel de Kabylie, a animé une conférence intitulée “La révolte de 1871 dans les mémoires villageoises”, au cours de laquelle il est revenu sur l’épineux dossier des terres agricoles séquestrées par l’administration française, pour les vendre aux notables de la colonisation.

Liberté

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

VOS RÉACTIONS